samedi 28 juillet 2012

- - - - Dans la cuisine de John Holloway - - - -

Dans la cuisine de John Holloway

  Ce qui n'est pas percutant n'est point pertinent. Karl Kraus

 

La métaphore culinaire n'a jamais été aussi favorable à l'analyse d'un livre. Précisons en préambule que Crack Capitalism édité par les éditions Libertalia n'est pas un livre de recettes.

Et que la question faut-il absolument faire quelque chose plutôt que rien n'est pas la question d'Holloway mais bien « comment trouvons-nous l'espoir dans une nuit noire ».

Cet espoir c'est peut-être l'esprit de l'utopie, globalement l'optique proposée n'est pas sans nous déplaire dans un moment d'accélération de la décomposition du vieux monde.

Reconnaissons quelques qualités au livre de l’honnête Holloway une certaine modestie et une langue simple, poétique par moment. Pas de révolutionnarisme ou d'appel grandiloquent à l'insurrection pour demain matin à l'aube. Un certain pragmatisme peut-être tout anglo-saxon qui permet de poser certaines limites pratiques du combat frontal "contre" le capitalisme, ou le monde marchand.

Holloway nous parle très humblement des "gens" mais hélas nous ne savons pas qui ils sont. Ils sont divers et particuliers, semblables et divisés (1) et pourtant ils tenteraient de résister à leur manière au procès capitaliste par des actes simples ?.

Ainsi p 27 « Nous fabriquons le tyran; pour être libres, nous devons cesser de le fabriquer" après une affirmation aussi péremptoire rien de plus logique que d'affirmer p 31 « rien de plus difficile cependant ».

Voila bien la marque du livre d'Holloway. Affirmer mollement quelques évidences volontaristes pour les tempérer aussitôt. Ce qui peut s'apparenter à une forme de modestie de la pensée au début du volume, débouche à notre avis sur à toute autre logique au fur et à mesure de notre lecture.

Dans ses développements Holloway se revendique de la démarche libertaire. Toute la thématique identitaire composite et folklorique s'y trouve déployée très clairement, de la culture "free" (2) possible ou nécessaire par la quasi inexistence de l’État providence jusqu'aux luttes communautaires en tous genres (sans jeu de mots). Voila peut-être pourquoi Holloway peut théoriser la méthode de la "brèche", là ou nous théoriserions peut-être, et aussi caricaturalement une théorie de la destruction de l’État comme unique but.

La méthode Holloway ? il l'expose plus précisément p32 «La méthode de la brèche est la méthode de la crise : nous voulons comprendre le mur non à partir de sa solidité mais à partir des ses fragilités » et «la théorie de la crise est la théorie de notre inadaptation » si le retournement peut nous paraitre intéressant comme judo intellectuel là ou nous tenterions peut-être d'abattre directement le mur à coup de masse et de barre à mine, lui propose de travailler les brèches parce que «La seule manière possible de concevoir la révolution est de la concevoir comme un processus interstitiel» p35.

Ainsi pour Holloway répétons le ici, la révolution est un processus interstitiel. Disons le plus directement il s'agit d'un réformisme radical assumé. Ainsi à la manière d'un Édouard Bernstein en son temps peut-être demande t-il indirectement à certains "révolutionnaires" d'oser paraitre ce qu’ils sont ? des mouvements de réformes sociales radicales sous vocable révolutionnaire ! Et donc d'assumer sans vergogne de théoriser leurs pratiques, qui ne le sont pas ou plus, ou alors plus dans leurs formes héritées du mouvement historique d'émancipation.

Ses méthodes militantes du travail interstitiels ? déconstruire "cette abstraction qui est, en fin de compte, la base même de l'Etat. Si nous voulons changer la société, nous devons arrêter la subordination de notre activité au travail abstrait »p 222 un travail de prise de conscience parce que «nous construisons nous mêmes la prison » p 269.

Nous ne sommes pas loin du « quand on veux on peux » et du « ya qu'a faut qu'on » propre au moralisme bourgeois. Il est a noté qu' Holloway n'y échappe pas quand il introduit son livre avec La Boétie et son fameux discours sur la servitude volontaire repris à toutes les sauces comme mantra et argument massue dans certains cercles anarchistes.

Sa "théorie" que nous qualifions volontiers de métaphysique, celle de l'abstraction du faire, est l'objet principal d'Holloway dans ce livre. Holloway idéalise les savoir-faire comme réappropriation possible de "l'activité" contre le "travail" et considère que «le faire est la crise du travail abstrait » et qu'il y aurait une lutte « du faire dans-contre-et-au delà du travail abstrait »p 290.

Si nous voyons bien sûr des résistances contre et au travail comme lui, nous n'assimilons pas résistances pratiques et psychique, celle qui relève de l’aménagement du quotidien, ou d'une stratégie d'adaptation à une réalité intenable, à une porte de sortie possible ou l'annonce d'autre chose ou d'un au-dela. La sociologie bourgeoise du "travail" ceci jusqu'à l'idéologie de l'auto-entrepreneur ou de la démerde est bien là pour nous le rappeler.

Ceci relève d'un arrière monde qui nous est profondément étranger. L'ici et maintenant d'Holloway débouche ironiquement sur un d'au-dela.

Ce que Holloway nomme « lek-statis du faire concret, la position en-dehors-et-au-delà du faire utile par rapport au travail abstrait » p 315 sonne comme l'écho de l'enseignement d'Heidegger qui a certainement inspirer le Marcuse des fondements philosophiques du concept économique de travail, article édité en 1933 (3) dont-on peu légitiment penser qu'il a été entre autres une source d'inspiration pour Holloway.

Ainsi Marcuse (4) pouvait écrire « Si la production et la reproduction matérielle redevient une praxis dominée, limités et achevée par les dimensions qui la transcendent, alors l'existence pourra recouvrer son véritable travail, le travail, libérer de toute aliénation et chosification, pourra redevenir ce qu'il est essentiellement : l'homme en son entier s'y réalisera pleinement et librement à l’intérieur de son monde historique. » p,53

Marcuse conclus son article d'une citation de Marx qui est peut-être une autre source des toutes les ambiguïtés métaphysiques d'Holloway.

« En fait, le royaume de la liberté commence seulement là où l'on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l'extérieur ; il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. [...] C'est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s'épanouir qu'en se fondant sur l'autre royaume, sur l'autre base, celle de la nécessité. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. »  MARX Le Capital, livre III, chap. 48

Nous ne rentrerons pas dans l'analyse de cette dialectique complexe entre hétéronomie et autonomie mais quel est donc cet au-delà chez Marx  ? Et quel est ce « royaume »  ou se trouve t-il ? Quand à la « nécessite »...dont la "condition essentielle est la réduction de la journée de travail" ? Nous voyons bien ici les limites du discours qu'il faut absolument remettre dans son temps.

Holloway et Marcuse se revendiquent d'une même démarche celle la « libération du faire » p 264 ou du "travail libérer de toute aliénation".

L''au-dela  du travail chez Holloway comme crise, est peut-être la redéfinition poétisée de la chute tendancielle du taux de profit, ou de la subsomption réel du travail sous le capital ? Ce qui donne chez Holloway  «l'intensification constante, inhérente au travail abstrait, tend à saper sa propre existence » p 294. bien sur toutes les tendances ne font pas une direction, de la à en faire une voie possible ?

Cette métaphysique du faire nous laisse perplexe et nous la rejetons. Nous considérons plutôt avec M.Postone et comme le rappel Holloway que « le travail concret existe comme contradiction avec le travail abstrait » et non pas comme antagonisme.

En ce qui nous concerne nous ne pensons pas que la crise du travail soit le signe d'une rupture, qui montre la nécessité de la révolution ni comme étant simultanément et immédiatement la percée potentielle d'une activité différente. Nous nous dégageons de ce genre de téléologie. Que nous ne prenons pas pour le projet historique d'émancipation qui n'a rien d'obligatoire, parce que le communisme n'est qu'une possibilité pratique et non nécessaire et donc pas une mystique avec ses signes annonciateurs.

Donc rien de nouveau serions nous tentés d'écrire au delà du truisme que voici « les gens sont obligés de développer d'autres formes de relations sociales et d'autres formes d'activités comme base de survie » p302 . Oui tout peut sortir du magma social et du chaos politique et pas obligatoirement une société libertaire. Que dire quand la cela touche simplement à la survie ?

Nous entendons néanmoins la démarche d'Holloway quand il écrit « ce livre ne commence pas par la question de comment conceptualiser le capitalisme, mais par une grossière inadéquation, un cri, une détermination à briser ici et maintenant  cette forme historiquement spécifique d'interdépendance. Cette inadéquation n'est pas un préambule anodin à une discussion théorique de poids qui viendra plus tard » [...]  ce que nous recherchons n'est pas une compréhension de l'interdépendance sociale, mais une théorie de la rupture » ceci dans sa dénonciation d'un marxisme plus exégétique que pratique.

Dans des moments de tétanie et de crise globale du projet révolutionnaire qui n'arrive pas s'articuler à la "crise", la démarche d'Holloway qui déterritorialise le problème/question  du pouvoir n'est pas une stratégie, mais à notre avis une manière de ne pas traiter anthropologiquement de la question du rapport de force.  Cette démarche subjectivante n'est bonne qu'a insuffler un activisme superficiel, de mode et passager, ou à alimenter le tribalisme militant dans une optique purement esthétique et moralisante. (cf La Boétie)

Le combat communiste, libertaire est historique, et absolument pas circonstanciel ou interstitiel. Son objet est tout autant le chemin que le but. Ou plus précisément son articulation. Holloway ne l'oubli pas mais nous pensons que dans une telle optique le projet révolutionnaire total sera dissous dans ses interstices. II sera plus proche du replâtrage que de la brèche.

L'ouvrage d'Holloway pose notre faiblesse et s'autorise à proposer une démarche possible dans cette obscurité et nous ne pouvons que l'accompagner. En revanche nous pensons que cet ouvrage est occidentalo-centré et anachronique, directement sortie de la décomposition de la contestation estudiantine étasunienne des années 60-70.  Il ne tient pas compte des déplacements géostratégiques et économiques, des enjeux du moment et à venir. Le centre de gravité du monde capitaliste à changé et ses enjeux, ses luttes aussi. Ne parlons même pas de la violence de celles-ci. Holloway ne parle jamais du rapport de force et de la nécessaire coordination mondiale des forces pour abattre la dictature du capital. Ainsi un résistant Iranien, un militant Tunisien, un gréviste Chinois n'est pas un étudiant Nord américain qui veux faire de la philosophie et des gâteaux ou une femme qui lit un livre dans un parc. S'agit-il d'un abus d'utilisation de la métaphysique dialectique ? Tout n'est pas dans tout, et toute pratique n'engendre pas nécessairement son renversement ou sa négation.

Une pincée de TAZ, une tranche de Théorie Critique, un zeste de Zapatisme, une cuillère à café de pyrrhonisme, de nombreuses tapas à base de Wertkritik ....saupoudrées d'un vocable métaphysique, qui quelques fois n'est pas sans côtoyer une certaine poésie (paradoxalement la part la plus subversive du livre). Le plat qu'on croyait frais et riche en saveurs et en couleurs, s'avère finalement trop aromatisé de ces condiments qui permettent de cacher l'insipidité de certains légumes cultivés sous serres.

(1) Il s'agit hélas trop souvent de profs ou d'étudiants. 

(2) Voir à ce sujet le films / livre Les Diggers Revolution et Contre-Revolution a San Francisco (1966-1968) de Alice Gaillard éd. Echappee 2009.

(3) Paru pour la première fois dans Archiv für Sozialwissenschaft und sozialpolitik, n°69,3 sous le titre « Ueber die philosophischen Grundlagen des wissenschaftlichen Arbeitsbegriffs » traduit de l'allemand par Gérard Billy et disponible aux éditions de Minuits 1970 dans le recueil intitulé Culture et société.

(4) N'hésitons pas à rappeler ici que Marcuse fut l'élève et l'assistant de Heiddeger. Voir p 92 in L'Ecole de Francfort. Rolf Wiggershaus PUF1993

John Holloway Crack Capitalism éd. LIBERTALIA Traduction : José Chatroussat

VOSSTANIE